Le voyageur s’introduit dans la gare par la porte latérale, en faisant attention à ne pas y coincer son énorme sac à dos. Éreinté par sa longue recherche d’une entrée encore fonctionnelle, il s’appuya sur ses genoux et souffla un grand coup. Son soupir résonna dans le gigantesque hall désert et apeura les oiseaux locaux, qui s’envolèrent à travers les colonnes défrichées et les vitres cassées.
La Gare de Lyon parisienne a connu de bien meilleurs jours. Autrefois la gare la plus fréquentée du pays, elle a vraisemblablement été laissée à l’abandon pendant plusieurs années, à en croire l’état déplorable des structures et du mobilier. Aucun magasin d’ouvert pour y faire ses dernières courses, aucun restaurant actif pour y grignoter un snack. Autant ne pas imaginer comment sont les toilettes.
Le silence du hall fut brisé par un son strident mais un peu étouffé d’un vieux haut-parleur, qui crachait tant bien que mal les notes d’un ancien jingle SNCF. Ce concert morbide fut suivi par une annonce à la voix sensée guillerette, trahie par la qualité de sortie sonore.
“Le TGV… Numéro… dix-huit mille… cinq cent… quarante-deux… à destination… de Lyon-Part-Dieu… partira… voie D.”
Reconnaissant son train, le voyageur se releva précipitamment et s’élança dans le hall sans trop savoir où aller. Il scruta durant sa course les antiques indications le menant à sa destination.
“Ce train partira avec un retard d’environ… quinze ans… sept mois… dix jours…”
L’annonce continue sans se soucier du stress du voyageur, toujours en quête de sa voie attitrée. Un peu tenté de prendre une autre pause, il se ressaisit immédiatement en pensant à l’occasion qu’il pourrait potentiellement manquer s’il traîne trop. Il accéléra plutôt, en espérant que son dos ne le lâchera pas en cours de route.
“Six heures… et… vingt-quatre minutes. Merci de votre compréhension.”
Le seul train amarré en voie D était maintenant en vue. Le voyageur soulagé ralentit son pas et se fraya un chemin à travers la végétation ayant envahi le hall d’attente, puis rejoint la voie longeant le train tagué à l’excès, sûrement par plusieurs générations d’artistes. Il s’arrêta enfin face à la porte du wagon 9, d’où il pourra rejoindre sa place.
Avec un dernier soupir de soulagement, il appuya sur le bouton d’ouverture et laissa la porte s’ouvrir lentement. L’odeur de renfermé s’échappa du wagon et fit tousser le pauvre homme, qui se promit d’ouvrir toutes les fenêtres durant le voyage.
Enfin, il entra dans le train et rejoint sa place à l’étage supérieur. N’ayant aucun autre voyageur pour lui tenir compagnie, il était libre de poser son sac où il voulait, mais le garda non loin de lui pour accéder à sa collection de jeux pour l’occuper.
15h34. Le train démarre comme convenu. Le voyageur s’enfonça dans son siège et regarda la fenêtre d’un air rêveur. C’était son premier voyage en train, et sûrement son dernier. Il aurait aimé profiter de l’expérience, mais la fatigue eut raison de lui et il ferma les yeux, songeant à sa prochaine étape.